En Serbie, où les personnes au pouvoir ont souvent recours à l’intimidation pour faire taire la dissidence, le travail des journalistes indépendants n’a jamais été aussi essentiel ni aussi dangereux.
Au KRIK (Crime and Corruption Reporting Network), nous avons passé la dernière décennie à dénoncer la corruption, le crime organisé et les abus de pouvoir en Serbie. Cependant, faire ce travail signifie faire face à des représailles constantes, à des campagnes de diffamation et à des actes d’intimidation. Récemment, cela inclut également une attaque coordonnée avec des poursuites-bâillons.
Les poursuites-bâillons ne visent pas à obtenir justice, mais plutôt à infliger des sanctions en abusant des procédures légales.
Qu’il s’agisse de magnats des affaires ou de politiciens, des acteurs puissants utilisent le système judiciaire pour essayer de nous faire taire.
Chez KRIK, nous avons été frappés par un total de 30 cas de ce type au cours de nos 10 années d’existence, avec actuellement 17 cas actifs. La plupart, sinon la totalité, sont sans fondement, mais nécessitent tout de même des défenses juridiques longues et coûteuses. Ces poursuites drainent des ressources, stressent les journalistes et visent à envoyer un message effrayant : creusez trop profondément, et vous en subirez les conséquences.
Ce qui nous fait avancer, c’est la solidarité.
Le soutien de collègues journalistes, de médias régionaux et internationaux, ainsi que d’organisations de défense de la liberté de la presse a fait une différence tangible. Le soutien du public, l’enquête conjointe sur les SLAPPers et le simple fait de savoir que d’autres personnes regardent aident à contrer l’isolement que ces poursuites visent à créer.
Une forme de soutien particulièrement puissante provient de Reporters Shield, un programme innovant lancé pour fournir une défense juridique et une couverture de responsabilité aux journalistes et aux médias indépendants menacés. KRIK était fier de se joindre à nous dès le début. Grâce à ce soutien, tant en termes d’expertise juridique que de soutien financier pour lutter contre les poursuites-bâillons, nous avons la possibilité de respirer et de nous concentrer sur ce qui compte vraiment : découvrir la vérité.
Cependant, la protection juridique contre les poursuites-bâillons ne suffit pas. Nous devons également contester publiquement la normalisation de ces poursuites.
Elles ne font pas « partie du travail », ce sont des attaques contre le journalisme d’intérêt public et, par extension, contre la démocratie elle-même. Chaque fois qu’un journaliste est traîné devant un tribunal pour avoir fait son travail, ce n’est pas seulement notre droit de publier qui est en jeu, c’est le droit du public de savoir.
Il faut un immense courage pour ne pas capituler devant des poursuites abusives, et la solidarité va très loin.
Il aide non seulement en offrant un soutien moral à ceux qui s’opposent à l’intimidation légale, mais aussi en encourageant l’examen public. C’est pourquoi nous avons initié la création d’un réseau de solidarité avec les médias, auquel se sont joints deux autres organisations de médias indépendantes, BIRN Serbie et la Fondation Slavko Ćuruvija, qui s’engagent à lutter contre les poursuites-bâillons et à se soutenir mutuellement.
Le réseau fonctionne comme un système de soutien ancré dans des actions pratiques. Nous rendons compte des procès des uns et des autres, en veillant à ce que les salles d’audience ne soient pas vides et qu’aucun journaliste ne soit laissé seul face à la pression en silence.
Nous nous présentons dans les salles d’audience pour nous tenir côte à côte dans les moments où cela compte le plus, non seulement en tant que collègues, mais aussi en tant que défenseurs du droit du public à l’information. Nous tendons la main à d’autres médias confrontés à des menaces similaires, en partageant nos expériences et nos plateformes pour amplifier leurs histoires. Nous précisons que le fait de cibler un média est un coup de semonce pour tous.
Chez KRIK, nous pensons que le journalisme d’investigation est un travail d’équipe.
Avec des outils comme Reporters Shield et de solides réseaux de solidarité, nous sommes prêts à continuer, peu importe le nombre de poursuites judiciaires qui nous sont intentées.
Blog invité écrit par Bojan Elek, chef de projet chez KRIK
